mardi 12 avril 2011

Côte d'Ivoire : "L'interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du conflit"

Côte d'Ivoire : "L'interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du conflit"


Images de Laurent Gbagbo, peu après son arrestation, diffusées par la télévision ivoirienne, lundi 11 avril.
Esteban : Que sait-on exactement du rôle de la France dans l'arrestation de Gbagbo ?

pénétré dans le périmètre de la résidence de Laurent Gbagbo au moment de son interpellation, lundi 11 avril, en début d'après-midi, et l'on ne dispose d'aucun témoignage ni d'aucun document démontrant le contraire. Les hélicoptères français ont ouvert la voie. Et ce sont des soldats des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) qui ont procédé à l'interpellation.

En fin de matinée, lundi, M. Gbagbo et son entourage avaient tenté une sortie de leur résidence qui était en feu, touchée par un tir de missile français la veille au soir. Les partisans de Laurent Gbagbo avaient riposté et mis les assaillants pro-Ouattara en fuite. Laurent Gbagbo avait ensuite tenté de s'enfuir par une vedette au bord de la lagune. Il semble en avoir été dissuadé par l'hélicoptère français.

Arthur : Peut-on parler d'ingérence de la France ?

La force Licorne, forte de 1 700 hommes, a agi en vertu d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, voté à l'unanimité. Cette unanimité incluant les trois pays africains qui y siègent actuellement. Ce mandat impliquait la protection des civils contre les tirs à l'arme lourde.

On peut discuter sur le point de savoir si ce mandat a été dépassé ou non. Mais une partie de la réponse tient au fait qu'un énorme arsenal de ces armes lourdes entreposées dans le périmètre de la résidence de Laurent Gbagbo continuait, ces derniers jours, d'être alimenté par bateaux.

Les diplomates français estiment que la situation s'était à ce point dégradée, qu'ils n'avaient pas d'autre choix que de précipiter la chute de Laurent Gbagbo. Ne rien faire aurait précipité le pays dans la guerre civile.

Guillaume : La France est-elle le gendarme de l'Afrique ?

Formellement, les troupes françaises de Licorne ont agi non pas en fonction des intérêts de Paris mais en vertu d'un mandat délivré, à New York, par le Conseil de sécurité des Nations unies. La présence des troupes françaises à Abidjan ne relève pas cependant d'un hasard. Il est évidemment lié au passé colonial de la France.

Mais l'intervention de Licorne, en 2011, n'a absolument pas les mêmes bases que celle des soldats français en 2004. Il s'agissait alors des militaires du bataillon d'infanterie de marine basé à Abidjan qui avaient tiré sur la foule des "jeunes patriotes" lancés dans des manifestations anti-françaises. Le bombardement mortel de l'aviation ivoirienne sur le camp français de Bouaké avait conduit la France à détruire l'intégralité de l'aviation ivoirienne et déclenché en représailles des manifestations "patriotiques".

La décision prise par Nicolas Sarkozy d'intervenir directement, même sous un clair mandat de l'ONU, contredit toutefois formellement ses discours antérieurs où il disait qu'aucun soldat français ne tirerait plus sur un Africain et que l'ancienne puissance coloniale n'était pas la mieux placée pour régler les différends politiques dans ces anciennes possessions.

Pierre : Pensez-vous que le président Ouattara souhaiterait renégocier les accords avec la France concernant la présence militaire de cette dernière sur le sol ivoirien ?

C'est une excellente question étant donnée la dette que le nouveau président vient de contracter à l'égard de l'armée française. En 2008, Nicolas Sarkozy avait annoncé la renégociation de tous les accords militaires liant la France à des pays africains. L'accord de défense franco-ivoirien de 1961 est le seul dont la renégociation n'a absolument pas débuté.

La France souhaitant, au préalable, le retour de la stabilité à Abidjan. Les discours français laissent entendre que Paris ne souhaite pas "s'incruster" davantage en Côte d'Ivoire et souhaite, à terme, le départ de ses soldats. La position qu'adoptera Alassane Ouattara dans ce dossier reflètera la teneur des relations nouvelles qu'il veut entretenir avec la France.

SPQR : L'affaire est-elle réglée ou bien est-ce le début d'une guerre civile ?

L'interpellation de Laurent Gbagbo ne signifie pas nécessairement la fin du conflit, étant donné le nombre important d'armes qui a été distribué à ses partisans ces derniers jours. Mais le retour à la paix civile est évidemment souhaité par une grande partie de la population qui, en dehors même des violences, souffre de l'insécurité, de la faim et de la soif, puisque dans certains quartiers d'Abidjan, l'eau a été longtemps coupée.

Le retour à la paix dépendra aussi de la capacité du nouveau président à enclencher un processus de justice visant les auteurs de violence, y compris dans son propre camp. L'annonce de la création d'une commission de vérité et de réconciliation, à l'instar de celles qui ont fonctionné en Afrique du Sud et au Maroc, est un premier pas dans ce sens.

Vitruve : Pensez-vous que Alassane Ouattara puisse véritablement réconcilier tout le monde ?

C'est évidemment un des grands défis qui attend la Côte d'Ivoire si elle veut redevenir la puissance phare de l'Afrique de l'Ouest qu'elle était jusqu'aux années 1990. Il est trop tôt pour avoir une conviction à ce sujet. Mais le fait que M. Ouattara ait réussi à imposer à ses troupes surexcitées d'épargner la vie de Laurent Gbagbo constitue un signe positif.

De nombreux observateurs font aussi remarquer que la présentation du pays comme étant irrémédiablement coupé entre un Nord musulman et un Sud chrétien est loin de correspondre à la réalité, beaucoup plus mélangée.

Un autre grand défi sera la reconstitution d'une armée réellement nationale avec la fusion des forces qui viennent de s'entretuer. Cette fusion, qui devait être réalisée depuis plusieurs années, ne l'a pas été.

Mk roma : Ouattara a-t-il jamais fait allusion aux violences commises par son propre camp ?

Dans son allocution télévisée du 7 avril, M. Ouattara a promis que "la lumière serait faite sur tous les massacres et les crimes". Il n'a pas fait explicitement référence au massacre de Duekoué, que les organisations des droits de l'homme attribuent largement à son camp.

Une accusation qui est particulièrement embarrassante pour lui puisque les soldats, accusés de ces exactions, étaient placés sous le haut commandement de Guillaume Soro, qui n'est autre que son premier ministre.

Clara : Les Gbagbo peuvent-ils rester encore longtemps à l'hôtel du Golf ou sont-ils susceptibles d'être rapidement remis à la justice ?

L'intention des nouvelles autorités ivoiriennes semble être de transférer rapidement Laurent et Simone Gbagbo dans le nord du pays où ils ont peu de partisans, où leur sécurité pourrait être mieux assurée. Dans un deuxième temps, l'idée est de trouver un autre pays africain pour les accueillir. Ce pourrait être, par exemple, l'Angola, le Nigeria ou l'Afrique du Sud.

Le défèrement de Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, n'est pas une perspective dans l'immédiat. Il faudrait que le procureur de cette Cour ou un autre pays que la Côte d'Ivoire demande l'ouverture d'une enquête, que les faits qui lui seraient reprochés entrent dans les compétences de la Cour, et qu'un mandat d'arrêt soit émis. La Côte d'Ivoire, elle-même, n'est pas partie au statut de Rome de 1998 qui fonde la compétence de la Cour pénale internationale.

Tiphaine : Guillaume Soro est-il un allié ou une menace pour Ouattara ? Peut-il lui faire de l'ombre ?

Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion du nord, ancien premier ministre de Laurent Gbagbo, et actuel premier ministre de M. Ouattara, a probablement pris encore de l'ascendant en tant que responsable militaire des opérations qui ont conduit à la reconquête de la totalité du territoire ivoirien.

Chef militaire connu pour son impulsivité, il pourrait, en effet, s'imposer face au très policé Alassane Ouattara.

Guest : J'aimerais savoir pourquoi nous n'avons pas d'informations sur les quatre otages en Cote d'Ivoire.

Tout simplement parce que nous n'en avons pas. De sources officielles françaises, on ignore où se trouvent les quatre personnes enlevées, lundi 4 avril, à l'hôtel Novotel d'Abidjan. L'inquiétude est accentuée par le fait qu'aucune revendication n'a été formulée. Ces quatre personnes ont été kidnappées par des hommes en uniforme.

Il s'agit du directeur du Novotel, d'un chef d'entreprise français et de deux de ses salariés africains. Ce dernier semble avoir fait partie des personnalités qui ont appelé à boycotter les services fiscaux de Laurent Gbagbo.