samedi 16 juillet 2011

Le Tour de France (6) – Le Tour des comices agricoles

Le Tour de France (6) – Le Tour des comices agricoles



En critiquant les « routes de paysans » sur lesquelles le Tour de France évolue depuis deux semaines, le Suisse Fabian Cancellara a sans doute heurté la sensibilité nationale, si attachée à ses terroirs et à cette France des clochers qui fait aussi – et surtout ? – la fortune et le succès jamais démenti du Tour. Reste qu’une appellation a germé dans la caravane, décrivant cette 98e édition de la Grande Boucle comme un « Tour des comices agricoles ». Depuis le départ de la Vendée, la plus grande course cycliste du monde a ainsi donné de la France un visage rural et champêtre qui génère certainement de belles images mais exclut de fait une autre France, celle des villes, sans même parler de celle des banlieues.

Aussi y a-t-il un certaine légitimité de la part du champion olympique du contre-la-montre à s’étonner que l’Hexagone ne soit parcouru que de départementales et de chemins vicinaux à l’heure où, justement, le cyclisme s’internationalise et passe plus de temps dans les aéroports que dans les relais de poste. Bien sûr, les vieux de la vieille, les nostalgiques de cet âge d’or où une demi-douzaines de nations se disputaient les lauriers, ricaneront de voir les coureurs se plaindre de la longueur des transferts et des courtes nuits dans des Logis de France douillets, mais dépourvues de climatisation. Ce n’est pas tant un choc thermal qu’un choc culturel à l’heure où Australiens, Américains ou Britanniques sont aussi nombreux dans le peloton que les Belges ou les Italiens. « Ils n’ont qu’à ne pas venir », entend-on déjà, alors que ces nouveaux venus sont l’avenir du cyclisme.

Il est vrai que les organisateurs du Tour de France sont la proie de leurs propres impératifs. Déjà muselés dans leur capacité d’innovation par les passages obligés des Alpes ou des Pyrénées, les concepteurs de la Grande Boucle sont d’autant plus coincés qu’ils décident de faire passer le peloton par la Vendée et Massif Central. Au départ de Pau, les coureurs ne se retrouvaient que pour la deuxième fois depuis le début de ce Tour dans une ville de plus de 80.000 habitants, après Le Mans, et encore il s’agissait là de villes départ, ne nécessitant pas la même infrastructure médiatique et hôtelière…

La difficulté pour les patrons du Tour est de concilier les besoins des différents acteurs de la course, les coureurs d’abord – plutôt mécontents nous l’avons dit, d’autant qu’un gros nuage survole la course depuis la Vendée -, mais aussi les partenaires financiers, les médias et le public.

Depuis quelques années, le Tour de France et le sport cycliste dans son ensemble sont devenus de précieux instruments de promotion touristique et les pays qui, de la Chine à l’Australie en passant par le Québec, les Emirats ou la Turquie, créent chaque année leur propre course par étapes ont d’autres visées que le strict intérêt sportif. Les belles images priment sur le confort des coureurs et même du public et les offices du tourisme, les conseils généraux et régionaux pèsent d’un poids croissant sur la configuration de la course. Pour eux, l’essentiel est que l’on aperçoive à la télé, dans le monde entier, les sites remarquables de leur région et ils sont prêts à payer le prix fort pour obtenir cette exposition médiatique.

Pourtant les dirigeants du Tour cherchent, nous dit-on, à moderniser leur épreuve à l’occasion de sa 100E édition en 2013. Il leur faudra peut-être s’affranchir de vieilles habitudes et rendre visite à cette autre France qui, pour l’instant, se moque un peu d’une Grande Boucle qui a parfois des allures de grand-mère.