vendredi 8 avril 2011

La prostitution sur Internet dans le collimateur de Guéant

La prostitution sur Internet dans le collimateur de Guéant

Le ministre de l'Intérieur souhaite que la justice condamne pour racolage les prostituées qui vendent leurs charmes sur Internet. Jusqu'alors, seuls les créateurs de sites étaient inquiétés. Le sort des clients est plus incertain.


Claude Guéant souhaite que la justice réprime plus fermement la prostitution sur Internet. Lors de son audition jeudi devant une mission d'information de l'Assemblée nationale sur ce sujet, le ministre de l'Intérieur a jugé «intéressant que le législateur, dans un texte à venir, puisse prendre en compte [le] racolage par Internet», notamment sur les sites d'«escort girls», qui fleurissent en ligne.

En France, la prostitution n'est pas illégale. Sont interdits le proxénétisme, l'exhibitionnisme et le racolage. Depuis la loi de 2003 sur la sécurité intérieure portée par le ministre de l'époque, Nicolas Sarkozy, cette pénalisation s'applique théoriquement à toutes les formes de racolage, même passif. La disposition, très débattue, visait alors à endiguer la prostitution de rue dans les grandes villes. L'effet sur le terrain est aujourd'hui «visible», juge Claude Guéant. Le nombre de procédures pour racolage est passé de plus de 3000 en 2004 à 1300 en 2009.

Des services d'accompagnement et de massage


Profitant d'Internet, les prostituées - elles seraient 20.000 en France - se sont en réalité faites plus discrètes. Traquées dans la rue, certaines vendent désormais leurs services directement aux clients, sur des myriades de pages personnelles, d'annuaires ou de sites de petites annonces. L'absence d'études et de statistiques ne permet pas de chiffrer ce phénomène. Mais aux États-Unis, la majorité des recrutements de clients s'effectuera sur les réseaux sociaux dès cette année, estimait dernièrement un sociologue de l'université de Columbia.

En France, la justice ne dispose pas d'arsenal spécifique contre cette nouvelle forme de racolage en ligne. L'article 225-10-1 du code pénal n'opère pas de distinction entre la prostitution de rue et sur Internet. Est puni de deux mois d'emprisonnement et 3750 euros d'amende «le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue d'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération».

Profitant de ce flou, les prostituées jouent sur les mots. Elles ne proposent pas ouvertement des relations sexuelles mais des services d'accompagnement ou de massage. Lorsque le message devient plus clair, les quelques interpellations, par exemple à Toulouse ou à Caen, se concluent par des rappels à la loi. La justice «considère que le racolage par Internet ne tombe pas sous le coup» du texte de 2003, a déploré Claude Guéant jeudi. «La sollicitation des clientes et des clients sur Internet ne s'affiche pas aux yeux des passants», plaidait dans une pétition le «Syndicat du travail sexuel».

Prudence sur la pénalisation des clients

Jusqu'alors, la lutte contre la prostitution sur Internet s'est donc plutôt concentrée sur les intermédiaires. Ces derniers tombent en effet plus clairement sous le coup d'accusations de proxénétisme, dès lors qu'ils accordent une aide pour mettre en relation des prostituées et des clients. En 2008, un informaticien de 27 ans a ainsi été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir créé quatorze sites de prostituées. En 2009, le site «Escort annonce», qui listait 7500 annonces, a été fermé.

Si Claude Guéant souhaite désormais s'attaquer au racolage en ligne, et donc cibler les prostituées, il s'est en revanche montré prudent sur la pénalisation des clients. «Cela supposerait que nous révisions assez profondément l'ensemble du régime juridique de la prostitution, du régime pénal, puisque la prostitution n'est pas un délit aujourd'hui», a argumenté le ministre. «Par conséquent, il est difficile de faire un délit de la pratique du client alors que la prostitution elle-même n'est pas un délit», a-t-il poursuivi.

Interrogée fin mars par la même mission sur la prostitution, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot avait émis un avis radicalement différent, déclarant «très solennellement» être «favorable à la pénalisation du client». «L'achat d'un acte sexuel correspond à la mise à disposition du corps des femmes pour les hommes, indépendamment du désir de celles-ci», avait-elle accusé. La mission rendra ses conclusions mi-avril, qui pourront donner lieu à une proposition de loi. Mais «elle ne sera pas votée et appliquée avant 2012», avait prévenu la ministre.